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En juin dernier, la Coréenne Lina Bae récoltait plus de 6 millions de vues sur YouTube grâce à un « tuto beauté » peu conventionnel : la jeune fille a tenu à défendre son physique face aux diktats qui pèsent sur les Coréennes. Une vidéo devenue emblématique de la campagne « Escape the Corser » (échapper au corset), un mouvement féministe populaire né dans le sillon de #MeToo et qui incite désormais les Coréennes à déconstruire les critères de beauté et à s’assumer telles quelles sont.
Un mouvement qui appelle donc à bousculer les standards esthétiques d’une nation où la compétition sociale et professionnelle est étroitement liée à l’apparence. Une beauté à la définition par ailleurs très limitée, dont les critères rappellent les traits de visages occidentaux : en plus d’être mince, il faut avoir une peau blanche, de grands yeux, une double paupière, un nez haut et une mâchoire en forme de « V ».
Cette norme sociale contraignante entraîne un recours très fréquent à la chirurgie esthétique — un tiers des Coréennes âgées de 19 à 29 ans ont déjà subi une intervention. Celle-ci est désormais quasiment un rite de passage vers l’âge adulte et il n’est pas rare que des parents coréens offrent une opération de chirurgie esthétique à leur enfant lors de l’obtention de son premier diplôme. Une tendance encouragée par les stars de la K pop et contre laquelle souhaite lutter le gouvernement sud-coréen, qui dénonce un « grave problème d’uniformité parmi les chanteurs ». Des directives ont été publiées dans ce sens le mois dernier pour demander aux chaînes de divertissement de cesser de privilégier la minceur et de sexualiser les femmes en leur imposant systématiquement des tenues très courtes et sexy. Des mesures qui rappellent celles qui ont été prises pour lutter contre l’anorexie dans l’univers de la mode.
Une société patriarcale en plein bouleversement
Malgré sa place de 11e puissance mondiale, la Corée du Sud est, selon le World Economic Forum, classée 115e sur 149 pays en matière d’égalité des sexes. Les racines de cette piètre performance sont lointaines : la société coréenne est imprégnée par les préceptes confucéens, dans lesquels la femme est souvent réduite à son rôle de fille ou de ménagère. De plus, la culture coréenne accorde une importance particulière à la beauté physique, particulièrement chez les femmes : avoir un visage harmonieux est considéré en Corée comme un signe de beauté intérieur. Le pays a d’ailleurs une longue tradition d’analyse des traits du visage et une femme ne correspondant pas aux critères de beauté sera donc doublement discriminée.
La « chosification » de la femme et la culture patriarcale coréenne ont probablement été un terreau favorable aux violences sexuelles. Dans les années 70, alors que 320 000 soldats sud-coréens ont combattu aux côtés des forces américaines, ceux-ci ont massivement violé femmes et filles vietnamiennes. Les 5000 à 30 000 enfants nés de ces noces barbares, appelés Lai Dai Han (ce qui signifie péjorativement « de sang mêlé ») sont encore aujourd’hui, comme leurs mères, victimes de racisme, d’ostracisme et d’exclusion économique et sociale.
Si le cas des Lai Dai Han reste un tabou en Corée, la place des femmes s’est tout de même améliorée au « pays du matin calme ». Mais la question du sexisme demeure d’actualité. Les mots-clefs les plus utilisés en Corée du Sud sur Twitter en 2018 furent « school #metoo », « feminist » et « molka ». « Molka » désigne les vidéos de femmes prises sans leur accord et diffusées sur des sites spécialisés et le hahstag « School #metoo » a été lancé le 7 septembre par une élève d’un collège pour filles. Il s’est vite propagé, amorçant une vaste campagne de révélations sur les problèmes de harcèlement et d’agressions sexuelles dans les collèges et les lycées.
La remise en cause des diktats de la beauté s’inscrit donc dans un contexte particulièrement difficile pour les femmes. La Coréenne s’apprête à trouver une nouvelle place dans la société. Un changement qui pourrait avoir un impact sur les stratégies marketing et sur les ventes du secteur du cosmétique, qui va devoir s’adapter et transformer son discours.
Un vent de révolte qui pourrait faire tanguer le marché des cosmétiques
Avec un chiffre d’affaires estimé à 13 milliards de dollars en 2018, le marché de la « K-Beauty » se situe à la troisième place de la zone Asie-Pacifique et à la dixième place mondiale. La Corée du Sud est le pays dont les habitants consomment le plus de cosmétiques au monde (les femmes y utilisent mensuellement en moyenne 27 produits, et les hommes 12), et les produits de beauté coréens — qui comptent désormais parmi les fleurons du « soft Power » à la coréenne — s’exportent dans le monde entier : les pays où les exportations sont les plus importantes sont la Chine (avec 39,5 % de produits de beauté coréens importés) suivie par Hong-kong (24,8 %) les États-Unis (8,5 %).
D’ailleurs, dans un marché jusqu’à présent en pleine croissance, extrêmement évolutif et compétitif, l’image prestigieuse et fiable dont bénéficient les produits « made in France » est un atout indéniable auprès de la clientèle sud-coréenne : l’hexagone est sur podium des pays exportateurs de cosmétiques au pays du matin calme avec plus de 24 % de part de marché — derrière les États-Unis, mais devant le Japon.
Il s’agit néanmoins d’un marché particulier aux goûts spécifiques, les Coréens étant adeptes d’innovation, mais misant surtout sur la qualité des produits et non sur l’extravagance, avec une utilisation de maquillage très limitée malgré une consommation de produits très majoritairement axés sur le visage.
Le marché coréen du cosmétique pourrait donc, à court terme, connaître quelques remous et devoir adapter son discours marketing à une société en pleine évolution.